Interview parue dans Les Plumes n° 40, mars 2018
Il est fréquent de croiser des enfants à haut potentiel parmi ceux non scolarisés. En effet, de par leurs spécificités, ces enfants peinent parfois à trouver leur place au sein de l’institution scolaire. Nous sommes allées à la rencontre d’Élodie Vandewalle, co-fondatrice de l’association Potentiels qui a pour objet d’accompagner les personnes à profil atypique.
On entend beaucoup parler de précocité, de surdouance, de haut quotient intellectuel. S’agit-il de la même chose ?
Élodie Vandewalle : Même si, dans le langage courant, ces termes sont utilisés de manière interchangeable, ils ne s’équivalent pas exactement. La précocité est un terme erroné dans le sens où l’enfant ne présente pas une avance homogène dans tous les domaines : il n’est pas le même qu’un enfant plus âgé, il est différent. Le mot « surdoué », lui, crée la confusion entre les aptitudes intellectuelles supérieures à la moyenne (ce qui est vrai) et l’attente de résultats ou de performances supérieurs (ce qui n’est pas forcément le cas). Quant au quotient intellectuel, le célèbre QI, il est généralement supérieur à 125, mais nécessite d’être étudié dans le détail, parce qu’une même personne peut présenter une forte hétérogénéité dans ses différentes aptitudes, ce qui rend invalide la lecture d’un profil à travers un seul chiffre de QI. Nous préférons le terme de « haut potentiel », qui exprime bien l’idée de potentialités spécifiques, qui peuvent être utilisées… ou non ! C’est bien là l’objet de l’association Potentiels : permettre à chacun de mobiliser son potentiel et de s’épanouir, y compris dans son fonctionnement atypique..
Existe-t-il un profil type de l’enfant précoce ?
É. V. : Pour ces enfants, comme pour tous, il y a une grande psychodiversité… Et tant mieux ! C’est bien ce qui fait toute la richesse de l’humanité ! Quand j’ai commencé ce métier, il y a 21 ans, on décrivait un enfant aimant jouer aux échecs, sachant lire à 4 ou 5 ans et ayant développé très tôt un langage et un vocabulaire riches et sophistiqués. Je regrette que cette image très « intello » ait éloigné les familles dont les enfants présentaient – aussi – certaines difficultés de cette hypothèse qui leur aurait permis de mieux comprendre et accompagner leur enfant. En réalité, nous croisons à l’association des jeunes joueurs de harpe comme de guitare électrique, amateurs de danse classique comme de boxe, véritables fans de puzzles comme de jeux vidéo et aussi (très) en avance comme (très) en retard dans les apprentissages. D’autant que le profil peut être atypique à double ou triple titre : haut potentiel et dyslexie, ou haut potentiel et déficit attentionnel avec hyperactivité, par exemple… Certaines caractéristiques reviennent tout de même régulièrement : l’enfant à haut potentiel est souvent très « calé » dans son sujet de prédilection (dont il change régulièrement). Dans d’autres domaines, il ne réfléchit pas de la même façon que la plupart des enfants (trouve, par exemple, le résultat en mathématiques, mais n’utilise pas le même raisonnement que celui qui est enseigné) et peut s’écrouler dans d’autres matières dans lesquelles il n’a pas trouvé d’intérêt. Leurs sens sont en éveil : les uns présentent une hypersensibilité au toucher, les autres aux odeurs ou au bruit. Ils sont empathiques, hypersensibles, facilement anxieux, ont de grandes questions existentielles et gèrent difficilement leurs émotions débordantes. Ces enfants rencontrent également de grandes difficultés à trouver leur place, déclarent s’ennuyer à l’école, n’ont généralement que peu de copains, et préfèrent la compagnie des enfants plus âgés ou des adultes. Ces difficultés d’adaptation, notamment à l’école traditionnelle, génèrent fréquemment de véritables situations de souffrance, voire de phobie scolaire.
Quelle est la place de l’émotion dans les apprentissages de ces enfants ?
É. V. : Elle est fondamentale. Rappelons ici que, pour tout un chacun, l’usage des fonctions intellectuelles supérieures (raisonnement, abstraction…) ne peut avoir lieu que dans un contexte émotionnel qui le permette : il est, par exemple, physiologiquement quasi impossible d’apprendre dans la peur. Les neurosciences montrent même que le stress prolongé a une influence négative sur le développement des fonctions cérébrales. Pour ces enfants hypersensibles, l’émotion a le pouvoir inouï de faciliter et de catalyser l’apprentissage qui vient répondre à leur appétence de savoirs dans une forme de plaisir intense, comme de bloquer complètement l’apprentissage, dans un contexte d’anxiété, de colère ou de mal-être. Le fonctionnement à haut potentiel représente certes, bien entendu, une spécificité intellectuelle, mais aussi, et il convient de le prendre en considération, une spécificité émotionnelle.
Dans quel cadre peut-on faire appel à votre association ?
É. V. : Les groupes de parole pour les parents, les journées familiales et les entretiens psychopédagogiques parents-enfants sont accessibles à toutes les familles, que le fonctionnement atypique soit avéré ou questionné et que l’enfant, l’adolescent ou le jeune soit scolarisé ou non. Le dispositif de Scolarité Aménagée Spécifique (SAS) propose, via des apprentissages fondamentaux et des ateliers pluridisciplinaires, un accompagnement psychopédagogique sur mesure qui s’adapte aux potentialités comme aux difficultés de l’enfant, plutôt que d’obliger ce dernier à s’adapter à un système qui ne lui convient pas forcément. Fonctionnant deux jours par semaine, ce dispositif, conventionné par l’Éducation nationale, accueille des enfants scolarisés comme des enfants bénéficiant de l’instruction en famille, qui viennent y vivre une expérience positive d’apprentissage en collectif. Le SAS est un dispositif unique en France pour l’aménagement des parcours des 6-12 ans. Situé à Tulle, il accueille des enfants de Corrèze et des départements limitrophes. Nos conférences et stages de formation continue, sont eux, organisés dans toute la France, en fonction des demandes.
Potentiels propose des stages ludoéducatifs pour les enfants et adolescents. En quoi consistent-ils ?
É. V. : L’organisation des stages ludoéducatifs varie en fonction des demandes et besoins repérés par les familles adhérentes de Potentiels. Par exemple, pour 2018, nous avons choisi de mettre l’accent sur le public des 11-17 ans à travers un stage qui accueillera huit adolescents et se déroulera du 27 au 30 août sur la thématique de l’imaginaire. Le programme est en cours de finalisation, mais, en avant-première pour les lecteurs des Plumes : découverte de l’heroic fantasy, de la science-fiction et du fantastique, à travers la littérature, le cinéma, le jeu de rôle et la création d’un univers, seront au programme. À suivre sur la page Facebook de l’association Potentiels.
Un enfant à haut potentiel conserve ses particularités en grandissant. Comment votre association aide-t-elle les personnes adultes ?
É. V. : Bien sûr ! Ce rapport au monde atypique qu’est le haut potentiel est une constante qu’il est judicieux d’apprendre à apprivoiser, peu importe à quelle étape de la vie. Nous accueillons à l’association des personnes de 2 ans et demi à 81 ans ! Pour l’adulte qui exprime régulièrement le sentiment « d’être décalé », la découverte, même tardive, du haut potentiel, est souvent l’occasion de mieux se connaître, d’envisager un changement de vie ou une reconversion, ou simplement de relire sa propre histoire avec une nouvelle grille de lecture explicative. Bref, que ce soit en entretiens individuels ou en groupes d’adultes, cette démarche permet bien souvent de se réconcilier avec soi.
Que peut faire un parent pour aider son enfant intellectuellement et émotionnellement atypique à s’épanouir ? Comment lui éviter la peur de l’échec et un éventuel blocage en situation d’apprentissage ?
É. V. : La première mission du parent est de comprendre : comprendre le fonctionnement de son enfant, ses attitudes, ses potentialités, ses blocages, ses « bizarreries » et son évolution, et de savoir que le fonctionnement familial sera bousculé à plusieurs étapes de la vie et nécessitera d’être à nouveau mis à plat et questionné. La seconde, qui n’est pas la plus aisée, est d’accepter cette originalité, qui est à accompagner, mais qu’il serait délétère de chercher à effacer ou à normaliser. Ensuite, dans la mesure du possible, le parent est là pour apaiser et éviter la surenchère d’émotions : le stress parental est contagieux ! Je conseille généralement aux parents d’échanger beaucoup, de parler, y compris des émotions (celles de l’enfant comme du parent), de partager des activités (pas seulement des devoirs scolaires), de jouer, bricoler, cuisiner, réfléchir ensemble… Quant aux apprentissages, il s’agit, bien sûr, de valoriser les avancées, de faire constater à l’enfant par lui-même l’étendue de ses progrès, de ne pas hésiter à revenir sur des éléments qui posent problème, même s’ils auraient dû être acquis depuis longtemps, mais aussi d’oser s’attaquer à des choses difficiles, même si elles ne sont « pas de son âge ». Car l’estime de soi, paradoxalement souvent fragile chez ces enfants, se construit aussi par la fierté d’accomplir des choses difficiles. Il est également important de se confronter progressivement à l’échec, d’autant que leur définition de l’échec est très particulière ; dès qu’un travail n’est pas parfait et réussi à la première tentative, vous entendrez le sempiternel : « je suis nul(le) » ! Il est crucial de répondre à son appétence de savoirs, car s’il est communément admis qu’il ne faut pas pousser son enfant, il serait tout aussi nuisible de le freiner. En réalité, en tant que parents, c’est tout notre rapport à la norme qui est à réinterroger. Accompagner son enfant, dans ce qu’il est, tel qu’il est (en faisant parfois fi du « normal »), pour lui permettre de se construire en tant qu’adulte trouvant sa place en société est une mission de longue haleine, souvent fatigante et émaillée d’obstacles, mais tellement dense et riche. N’est-ce pas, finalement, toute la teneur de l’acte d’éduquer ?
A découvrir : Les APIE Conf’ des enfants à haut potentiel
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