Paru dans Les Plumes de LAIA n°14, février 2010
Un colloque très intéressant a eu lieu à Chambéry les 14 et 15 novembre 2009. Intitulé « Réflexions autour des différents modes d’instruction et de la place de la famille », il est le premier d’une série, qu’on espère longue, de colloques interrogeant chaque année la «parentalité et les pratiques éducatives ». Il était organisé notamment par Delphine Gazzabin avec les associations Yapock et Bien-naître et grandir.
Un article du quotidien Le Dauphiné, paru quelques jours avant, mettait en avant les questionnements que peuvent avoir les parents d’aujourd’hui concernant les pratiques éducatives et l’école en général. […]
En effet, les conférences du samedi démarraient tranquillement sur le thème de la famille aujourd’hui […] et les rapports entre les familles et l’école aujourd’hui […] .
L’après-midi a permis d’entendre des réflexions passionnantes sur différentes modalités d’apprentissage : Yves Béal et Frédérique Maiaux ont évoqué leurs pratiques et expériences passées pour « rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages » (dans le titre de leur livre Projet pour rendre les élèves acteurs de leur apprentissage, ils auraient préféré « pilotes » au lieu d’« acteurs »), plutôt que d’être écrasés par les jugements et les notes. Jean-Pierre Lepri, qu’on peut lire chaque mois dans une lettre passionnante à laquelle on peut s’abonner, a ravi les oreilles des familles ayant fait le choix de l’apprentissage autonome en redisant brillamment combien apprendre était naturel et qu’il fallait sortir de la pédagogie (et beaucoup d’autres choses). Patrick Dorpmund a rendu compte des formes d’intelligences multiples, en se basant sur les travaux de Howard Gardner et en nous les faisant comprendre par de petits exercices concrets.
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Nous avons eu la chance ensuite d’entendre Alan Thomas, qui a poursuivi ses recherches après son travail sur l’entrée en lecture des enfants non-scolarisés, qui nous avait valu quelques belles pages rassurant les parents de lecteurs tardifs. Il dit que cela le passionne d’explorer des terres inexplorées en sciences de l’éducation. Ses observations portent cette fois-ci sur les modalités d’apprentissage informel dans un nouveau livre intitulé How children learn at home, co-écrit avec Harriet Pattison. Il a rappelé l’anecdote qu’une maman lui avait racontée. Elle avait demandé à l’inspecteur :
« Que pensez-vous d’un enfant qui, à 10 ans et demi, lit Roal Dahl et Jules Verne ?
– Très bien, très bien, bon succès de l’instruction en famille.
– Mais que dites-vous d’un enfant non scolarisé qui, à 10 ans, ne sait pas lire ?
– Oh là là !
– Eh bien, monsieur, c’est le même enfant ! »
Alan Thomas a étudié les modalités d’acquisition des connaissances lorsqu’elles sont acquises de façon autonome par l’enfant, en interaction avec son entourage.
L’après-midi a été marqué par l’exposé passionnant de Daniel Favre. Il a évoqué son travail de recherche, en compagnie d’enseignants, pour diminuer la violence des élèves, la violence étant « l’ensemble des comportements résultant d’un besoin acquis de rendre l’autre/les autres faibles, inconfortables et impuissants, pour pouvoir soi-même se sentir fort, confortable et puissant » ; il distinguait la violence de l’agressivité, « réaction vitale pour défendre ses besoins ». En très bref, il proposait du plaisir comme antidote à la violence, par le plaisir de résoudre (le cerveau sécrète alors de la dopamine), par le jeu (pour Piaget, tous les jeux sont apprentissages), par la motivation de sécurisation (pour Winnicott, l’enfant n’est pas capable d’élaborer dans le manque).
Un monsieur aux cheveux blancs et à l’allure (étymologiquement) bonhomme, Carl, a aussi parlé, expliquant pourquoi il avait payé la location du centre de conférence de Chambéry : éduqué à la maison avec son frère, il était heureux de voir que cette information était partagée lors d’un colloque. Il voulait témoigner de sa réussite (il était l’heureux possesseur d’un garage et d’un site de vente de 4×4 avant de prendre sa retraite) et de celle de son frère, maçon et maire de son village, auprès des parents qui pourraient douter de ce choix.
Le colloque a été riche de toutes ces interventions, mais aussi de toutes les discussions informelles que l’on a pu avoir dans les couloirs, à table, dans les stands. Pour ma part, mise en présence de tant de pédagogues remarquables qui ont sauvé des centaines d’enfants du manque d’estime de soi, mais confrontée de nouveau à une certaine incompréhension de leur part, j’ai pu préciser où nous divergions. D’autant que, finalement, j’appartiens aux deux familles : aux non-scolarisants et aux « pédago », naguère révulsée par l’échec scolaire soigneusement entretenu par le système scolaire et attirée par la « pédagogie de projet » -j’ai découvert après coup que ce que j’avais initié en classe pouvait s’appeler ainsi.
Nos fondements sont communs : refus des notes, des jugements, refus de l’école comme matrice des hiérarchies sociales (quoique la pensée magique de l’élitisme républicain puisse vouloir nous le faire oublier), Sylvia Dorance a rappelé ces fondements communs.
Mais j’ai senti ensuite où nous divergions. Suite à ma présentation de Apprendre à lire en famille, on m’a reproché de ne pas avoir assez parlé de motivation de l’enfant : comme c’est la base pour les familles non scolarisantes, de respecter la motivation des enfants en ne la détruisant pas par des motivations extérieures, j’ai omis de le rappeler, tant ce respect nous paraît aller de soi. Les pédagogues, eux, s’employant avec énergie et talent à sauver les enfants scolarisés abîmés, ont développé des idées et des outils pour remotiver les enfants, rendre les enfants acteurs de leurs apprentissages, mais pour notre part, nous essayons plutôt de ne pas abîmer cette motivation. On nous a reproché, dans notre livre Apprendre à lire en famille, de nous éloigner du sens, qui serait l’approche de Foucambert et Smith : là aussi, une famille non scolarisante est dans l’accès au sens en permanence. En effet, sans sens, l’enfant non scolarisé ne se laissera pas faire, il refusera tout net de faire quelque chose qui ne fait pas sens pour lui.
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Claudia Renau