Interview paru dans Les Plumes de LAIA n°13, octobre 2009
Alan Thomas est chercheur. Depuis une vingtaine d’années, il poursuit des recherches sur la façon dont les enfants apprennent, ce qui l’a amené à s’intéresser à l’instruction à domicile et plus particulièrement aux apprentissages informels ou auto-gérés. Il a travaillé en Angleterre, en Espagne, en Hollande et en Australie. Depuis 12 ans, il travaille à l’Institute of Education, Université de Londres.
Vous étudiez la façon dont les enfants apprennent depuis de nombreuses années maintenant. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris ?
Alan Thomas : Premièrement, c’est le fait que les enfants peuvent apprendre, de manière informelle, au moins autant que ce qu’ils auraient appris s’ils avaient été à l’école, et ce sans toute la structure que les éducateurs professionnels croient essentielle. Ceci est vrai jusqu’à l’âge auquel les enfants peuvent avoir besoin d’étudier de façon formelle pour un examen. Deuxièmement, c’est la façon dont ils apprennent. Quand ils sont bébés ou bambins, ils apprennent de manière informelle. L’apprentissage de la langue est un excellent exemple. Il n’y a aucune raison de changer de pédagogie lorsque l’enfant atteint l’âge de l’école. C’est simplement une continuation de ce qui a été fait jusque-là. Troisièmement, bien que les parents soient importants, les enfants sont les architectes de leurs propres apprentissages. Quatrièmement, c’est le très large éventail d’approches possibles qu’il existe dans l’instruction en famille, du très formel au très informel. Enfin, c’est le fait qu’apprendre à lire « tard », après l’âge de 7 ans, est très commun et finalement peu important.
Les bambins apprennent en alternant des périodes de progrès et des périodes de régressions. Est-ce que l’apprentissage intellectuel présente le même schéma ou est-ce un apprentissage plus linéaire ?
A. T. : Je n’ai pas étudié cela dans les détails, mais de façon générale je dirais oui, absolument. J’ai en mémoire une enfant qui a appris de façon informelle de 7 ans à 11 ans. J’ai été très surpris d’observer la façon dont ses apprentissages progressaient. Il y avait très certainement des périodes de progrès et des périodes de régressions qu’il m’a été presque impossible d’expliquer. C’était assurément non linéaire. Elle apprenait très vite dans les domaines qui étaient importants pour elle, comme compter l’argent ou lire l’heure en fonction des programmes TV. A l’âge de 11 ans, elle avait couvert une grande partie de ce que l’on enseigne aux enfants à l’école. […]
Nous avons pris connaissance des recommandations de M. Badman en vue d’une nouvelle législation sur l’instruction en famille en Grande-Bretagne pour, entre autres, garantir que les enfants reçoivent une bonne instruction. Pensez-vous que rendre obligatoire pour les parents de présenter chaque année un programme prévisionnel approuvé pour les 12 mois à venir soit à encourager ?
A.T. : Non, je ne pense pas que cela doive être obligatoire. Si cela devait l’être, alors les apprentissages informels ou autonomes deviendraient impossibles. Si cela arrive, alors le monde serait privé de connaissances sur les façons de s’instruire qui sont très différentes des pratiques scolaires établies. Et il y a maintenant énormément de familles dans de nombreux pays qui ont démontré le succès de cette approche éducative. De plus, en Angleterre et au Pays de Galles, la loi est claire sur le fait que le parent est responsable de l’instruction de son enfant, que ce soit à l’école ou « autrement ». Le parent assume le rôle du professionnel éducatif et donc il devrait être libre de décider des options pédagogiques.
Que pensez-vous que puisse être l’impact d’un contrôle annuel des progrès de l’enfant sur la façon dont il apprend (ou est instruit) au cours de l’année ?
A.T. : La seule raison d’être de ce contrôle est de comparer avec l’école. Cela n’a pas de sens dans le cadre de l’apprentissage informel parce que les enfants apprennent à leur propre rythme et ce qui les intéresse. Bien sûr, certains parents peuvent vouloir savoir où se situe leur enfant par rapport à l’école. Dans ce cas, ils peuvent facilement le découvrir par eux-mêmes sans être contrôlés.
Que pensez-vous qu’il serait utile de mettre en place pour s’assurer que chaque enfant reçoit l’instruction à laquelle il a droit et qui, dans le même temps, n’irait pas à l’encontre des apprentissages autonomes ?
A.T. : J’ai assisté aux conférences organisées dans les Landes l’an passé (ndt : lors de la rencontre annuelle de l’association Les Enfants D’Abord), et quelqu’un a dit qu’un inspecteur lui avait demandé dès le mois de septembre le programme qu’elle allait suivre pour l’année à venir. Elle lui a répondu : « Si vous venez en juin, je pourrai vous le donner ». Cela résume très bien le problème. Et c’est une chose que les inspecteurs, enfermés dans une perspective scolaire, ont beaucoup de mal à admettre. Finalement, tout ce qu’on peut leur dire, c’est qu’ils doivent comprendre une approche très différente, approche suivie par de nombreux parents dans de nombreux pays du monde entier, et qu’ils sont suffisamment nombreux à avoir intégré l’enseignement supérieur ou la vie professionnelle pour maintenant savoir que ce mode éducatif est efficace. […]
C’est surprenant tous les sujets de conversation et tous les centres d’intérêts qu’un enfant peut avoir sur une courte période de temps. Une quantité énorme d’apprentissages a lieu. Cela n’a pas d’importance que ce ne soit pas planifié ou séquencé comme ça l’est à l’école. Presque tous les apprentissages de l’enfance se font ainsi.
Il est évident que tous les parents veulent que leurs enfants acquièrent les connaissances que les enfants apprennent à l’école et il est évident qu’ils font en sorte que leurs enfants aient l’opportunité d’acquérir ce savoir en proposant un matériel approprié à la maison ainsi que des expériences en dehors de la maison. […]
Un problème particulier pour les inspecteurs est l’apprentissage de la lecture. […] Tout ce que je peux dire, c’est que dans ma recherche je me suis aperçu que de nombreux enfants ne savent pas lire entre 8 ans et 10 ans ou plus, puis ils apprennent rapidement et ont un niveau de lecture qui dépasse largement celui de leurs pairs scolarisés.
En conclusion, ce qui est certain, c’est que le chemin des apprentissages autonomes ou informels est un chemin basé sur une philosophie très différente, mais de plus en plus fréquente et connue pour être efficace. […]
Comment la créativité des parents qui instruisent leurs enfants pourrait-elle influencer l’école de demain ?
A.T. : C’est une question difficile. Ironiquement, de nombreux professionnels de l’enseignement veulent que les enfants scolarisés fassent l’expérience des valeurs qui sont importantes pour les parents homeschoolers : apprendre à son propre rythme, suivre ses intérêts, apprendre dans la vraie vie et non à l’intérieur d’un bâtiment coupé du monde, avoir des relations sociales avec des enfants de tous âges. En particulier, les enfants instruits en famille, et plus spécialement ceux qui apprennent de façon autonome, sont responsables de leurs propres apprentissages, une chose que les enseignants veulent mais n’obtiennent généralement pas. […] Par-dessus tout peut-être, c’est que l’enfant instruit à la maison reçoit une attention personnalisée de la part de ses parents quelle que soit l’approche éducative choisie. L’enseignement personnalisé est devenu l’expression à la mode au Royaume-Uni. Mais personne n’a dit comment cela peut être fait à l’école.
Bibliographie :
En français :
« Ce que les parents qui instruisent à la maison peuvent enseigner au monde sur la nature de l’apprentissage », de A. Thomas, dans Apprentissage auto-géré et instruction à la maison : une perspective européenne, Educational Heretics Press, 2006, ISBN 190021931X
En anglais :
How children learn at home, de A. Thomas et H. Pattison, Continuum International Publishing Group, 2008
Educating your child at home, de J. Lowe et A. Thomas, Continuum International Publishing Group, 2002
Informal Learning, de A. Thomas, dans Primary Teaching Assistants: Learners and Learning, de F. Hancock et J. Collins, Open University Press, 2005
Prevalence of home education in England : a feasibility study, de A. Petrie, G. Windrass et A. Thomas, DFES Research Report, 1998
Educating children at home, de A. Thomas, Cassell, 1998 (lire un extrait en français)
Individualised Teaching, de A. Thomas, dans Oxford Review of Education, 1992
Conversational Learning, de A. Thomas, dans Oxford Review of Education, 1994